La Confédération africaine de football a finalement cédé aux sirènes de la FIFA et des clubs européens. À partir de 2028, la Coupe d’Afrique des nations ne sera plus disputée tous les deux ans, mais tous les quatre ans. Patrice Motsepe, président de la CAF, l’a officialisé à la veille de la CAN 2025 au Maroc. La CAN 2027, co-organisée par le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie, sera donc la dernière édition à conserver le format biennal. Cette baisse de pantalon devant les extra-africaines, vient bouleverser l’ordre établi en vigueur depuis les débuts de la compétition en 1957.
Un changement de cycle après des décennies de résistances
Pendant près de trente ans, sous la présidence d’Issa Hayatou (1988–2017), l’idée de passer à une CAN tous les quatre ans a régulièrement été évoquée. Issa Hayatou, le président qui a le plus pesé sur l’histoire du football africain, a toujours défendu la spécificité du calendrier africain. Même lorsque les pressions européennes et les demandes de réforme du calendrier international acculaient l’Afrique, il avait su rester ferme.
Pour la CAF de cette époque, la CAN biennale relevait autant d’une nécessité économique que d’une vision de développement à long terme:
- Source de revenus vitale : la Coupe d’Afrique, organisée tous les deux ans, constituait la principale source de financement de nombreuses fédérations, via les droits TV, les sponsors et les primes de participation.
- Visibilité des joueurs africains : multiplier les éditions permettait d’offrir une vitrine régulière aux joueurs évoluant sur le continent ou dans des championnats moins exposés, et de maintenir l’Afrique au centre de l’agenda médiatique mondial.
- Développement des infrastructures et des talents : une CAN fréquente donnait aux sélections de se frotter les unes contre les autres pour emmener vers le haut le développement des talents. Mais pas que. Cela permettait aussi aux pays organisateurs, de mobiliser le poids politique d’une nation pour développer les infrastructures dans l’ensemble du pays. À titre d’exemple, sans le pretexte de la CAN 2021, le Cameroun, au niveau infrastructurel, serait encore la risée de l’univers.
Issa Hayatou, gardien du modèle biennal
Issa Hayatou a construit une grande partie de son influence en s’appuyant sur la CAN comme produit-phare du continent. Sous son mandat, la compétition a gagné en exposition, en revenus et en importance dans le calendrier mondial, ce qui a conforté son refus de la « diluer » en l’éloignant à un cycle quadriennal.
Son raisonnement reposait sur plusieurs axes :
- La réalité économique des fédérations africaines, qui ne disposent ni des mêmes droits TV ni des mêmes ressources marketing que les confédérations européennes ou sud-américaines.
- Le besoin de compétitions régulières pour maintenir le niveau des équipes nationales, dans un contexte où les infrastructures, les ligues nationales et les structures de formation restent inégales d’un pays à l’autre.
- La défense d’un modèle africain autonome, sans alignement systématique sur les standards européens, perçus comme inadaptés aux réalités du continent.
Cette fermeté a longtemps gelé toute tentative de réforme structurelle du calendrier continental.
Pourquoi la CAF de Motsepe change finalement de cap
Avec Patrice Motsepe, la CAF a décidé de cette rupture nette. Elle a décidé d’accéder aux sirènes de Gianni Infantino et de la FIFA. L’instance avance plusieurs raisons pour justifier le passage à un cycle de quatre ans :
- Alléger un calendrier devenu ingérable, notamment avec la multiplication des compétitions de clubs, les dates FIFA et les exigences des clubs européens, régulièrement en tension avec la CAN.
- Mieux valoriser la CAN, en en faisant un événement plus rare, donc potentiellement plus rentable en termes de droits TV, de sponsoring et d’image.
- Permettre une préparation plus longue sur le plan sportif, logistique et infrastructurel, avec davantage de temps pour planifier les éditions et accompagner les pays hôtes.
Dans cette logique, la CAF présente le nouveau cycle non pas comme une diminution de l’importance de la CAN, mais comme une montée en gamme : moins fréquent, mais plus puissant.
Une Ligue des Nations africaine pour combler le vide
Pour éviter que l’espacement des CAN n’entraîne une baisse d’activité des sélections, la CAF prévoit de lancer une Ligue des Nations africaine à partir de 2029, sur un modèle proche de celui déjà mis en place par l’UEFA.
Cette compétition annuelle doit :
- offrir des matchs à enjeu tout au long du cycle,
- remplacer une partie des matchs amicaux peu attractifs,
- créer une nouvelle source de revenus récurrents,
- maintenir les équipes nationales dans un cadre compétitif régulier.
En clair, la CAN tous les quatre ans deviendrait le sommet de la pyramide, tandis que la Ligue des Nations fournirait le rythme de fond indispensable au développement sportif et économique.
Entre fidélité à l’héritage et nouvelle ère
La décision de rompre avec la tradition biennale marque un tournant idéologique. Là où l’ère Hayatou défendait bec et ongles un modèle africain spécifique, fortement axé sur la CAN comme produit central, la nouvelle CAF de Patrice Motsepe cherche à s’inscrire dans un cadre plus globalisé, davantage aligné sur la FIFA et les grandes confédérations.
Ce choix ne met pas fin au débat.
Les partisans de l’ancien modèle y voient un risque de marginalisation et de dépendance accrue aux calendriers européens. Les défenseurs du nouveau cycle y lisent au contraire une modernisation nécessaire, susceptible de renforcer la valeur et la crédibilité du football africain à long terme.Une chose est certaine : en acceptant finalement ce que des dirigeants comme Issa Hayatou avaient combattu pendant des décennies, la CAF tourne une page majeure de son histoire. Reste à voir si ce pari stratégique donnera à l’Afrique plus de poids, ou si la CAN perdra une part de ce qui faisait sa singularité.












