Il a accompagné le football africain pendant près de quarante ans. Il a soulevé des trophées, façonné des générations, imposé un style de parole libre qui a fait de lui une référence médiatique. Mais à l’heure de la CAN 2025, Claude Leroy se retrouve aujourd’hui au centre du débat : celui de la cohérence de son discours. Entre son soutien au renouvellement générationnel au Cameroun et sa défense de l’expérience au Maroc, ses prises de position récentes donnent l’impression d’un biais assumé. À tort ou à raison, c’est ce que son discours suggère.
Aboubakar écarté, Claude Leroy applaudit le “coup de balai”
Très au courant des dissensions internes à la Fécafoot, l’ancien sélectionneur des Lions Indomptables donne constamment raison à une seule des parties. Lorsque le nouveau sélectionneur du Cameroun, mais plus officieusement Samuel Eto’o, décide de se passer de Vincent Aboubakar pour la CAN, la décision fait l’effet d’un séisme. Capitaine, héros de la CAN 2021, symbole des Lions Indomptables, Aboubakar reste, à 33 ans, l’une des figures majeures du football camerounais. Et surtout que derrière lui, aucun autre attaquant n’emerge.
Sur les plateaux, les réactions s’enchaînent. Claude Leroy, lui, ne tergiverse pas. Il soutient clairement la mise à l’écart des cadres, dont Aboubakar et André Onana, présentée comme un choix fort et nécessaire.
Dans l’émission “Talents d’Afrique”, il explique comprendre pleinement la logique du sélectionneur, estimant que ces joueurs arrivent “en bout de course” et qu’il ferait, à sa place, exactement le même choix : ne sélectionner ni André Onana, 29 ans, ni Vincent Aboubakar, 33 ans.
Saïss titulaire, 35 ans, Leroy s’enthousiasme pour “les hommes d’expérience”
Et puis, vient le cas du Maroc.Romain Saïss, défenseur central, capitaine, cadre absolu des Lions de l’Atlas est à son poste lors du match d’ouverture. Un joueur au statut comparable à celui d’Aboubakar dans la tanière camerounaise. Interrogé sur sa titularisation, Leroy tient un tout autre discours. Cette fois, l’âge devient un atout. La présence du vétéran est saluée comme un “très bon choix” : le sélectionneur, dit-il en substance, a besoin d’hommes d’expérience, et cette CAN exige justement ce type de profil.
« Oui, très bon choix, le coach a besoin d’expérience et cette CAN a besoin des hommes d’expérience. »
Claude LeRoy
Difficile de ne pas relever le contraste flagrant entre les deux analyses :
- Aboubakar (33 ans) : trop vieux pour incarner l’avenir, il faut faire place aux jeunes.
- Saïss (35 ans) : indispensable par son vécu, il symbolise la stabilité et l’autorité.
Même typologie de joueur, même statut, même contexte de compétition… mais lecture radicalement différente.
Le cœur du problème : quand l’expertise flirte avec l’incohérence
Sur le plan purement factuel, une chose est indiscutable : Claude Leroy tient deux discours contradictoires. D’un côté, au Cameroun, il défend un choix de rupture, applaudit la mise de côté des cadres emblématiques.Et il valide l’idée que l’on ne peut plus construire avec certains anciens. De l’autre, au Maroc, il glorifie la continuité, l’expérience, la valeur des anciens dans le vestiaire.
C’est clairement un “syndrome de l’incohérence” : un consultant qui, en fonction des équipes, change de grille de lecture, sans toujours justifier clairement pourquoi. Est-ce interdit ? Non. Mais c’est critiquable surtout quand on parle d’une voix aussi influente dans le paysage du football africain. Cela pose un autre problème , celui du biais.
Derrière ce constat, on peut valablement se poser la question du pourquoi un tel décalage de traitement entre des situations pourtant comparables ? Impossible d’ignorer un élément : la relation de Claude Leroy avec le Cameroun, et plus particulièrement avec Samuel Eto’o. Leroy ne s’en est jamais caché : il admire Eto’o, qu’il considère comme l’une des grandes figures du football africain. Il a aussi, à plusieurs reprises, pris publiquement position dans des contextes où le président de la Fécafoot était au cœur des débats.
La question du biais : Eto’o, la Fécafoot et l’ombre des relations
Lors des tensions autour de l’ancien sélectionneur Marc Brys, par exemple, Leroy n’a pas hésité à critiquer ouvertement le technicien belge, rejoignant ainsi la ligne de défense de l’institution fédérale. Là encore, son discours insistait sur la nécessité de respecter les structures, l’autorité, l’ordre établi. Ce passif peut nourrir le sentiment d’un biais structurel : celui d’un homme plus prompt à défendre les choix ou la ligne “officielle” de la Fécafoot, même quand ceux-ci vont à l’encontre de la réalité du terrain ?
Ce que cette polémique dit est qu’au-delà de la personne de Claude Leroy, elle met en lumière un enjeu plus large. Celui de la rigueur dans l’analyse du football africain. Ce que souhaite l’Afrique est de la constance dans le jugement, des critères lisibles, des analyses qui ne varient pas selon les drapeaux ou les sensibilités personnelles.
Lorsqu’un consultant de la stature de Leroy explique, dans un cas, qu’il faut sacrifier les cadres au nom de l’avenir, et dans un autre que les cadres sont indispensables au nom de l’expérience, il envoie un signal contradictoire. Or, dans des écosystèmes déjà fragilisés par les crises institutionnelles, les conflits d’ego et les luttes de pouvoir, les mots des figures respectées ont un poids immense.
