C’est une ambiance un peu sectaire, à la horde des Raéliens, que Artur Jorge, l’entraîneur des Lions indomptables a réussi à imposer à tout se qui tourne autour de son équipe au cours du regroupement qu’il tient depuis dimanche dernier sur le territoire français : un isolement presque complet du monde extérieur (l’hôtel est situé à une distance considérable du centre urbain), une interdiction absolue à toute personne étrangère de prendre la moindre image – même photographique – une interdiction évidente de parler à la presse et un refus catégorique pour ceux qui ne font pas partie du staff de se retrouver dans les chambres des joueurs.
Le coup le plus inattendu lui est d’ailleurs venu de la nuit de dimanche dernier, au cours de laquelle l’homme – apparemment habité par un mauvais esprit – a subitement décidé du transfert de l’ensemble de l’équipe de l’hôtel qu’ils occupaient dans la région d’Evry-Courcouronnes (Sud-Est de Paris) pour le Novotel de Saint-Quentin en Yvelines, dans un axe géographique radicalement opposé à la première résidence. Ce qui a eu pour vertu principale de prendre un grand nombre de personnes intéressées par le destin de cette équipe à contre-pied, dans une recherche du Lion souvent rendue par le passé, on le sait, fort mondaine et riche en pratiques licencieuses de toutes sortes.
Résurrection
Le coach aurait donc décidé d’instaurer ce climat de terreur et de réclusion, pour mieux épouser l’air d’un temps où une rencontre sportive prend les airs d’une résurrection christique. Novotel Saint-Quentin, donc. Un lieu dont on peut dire, de façon prosaïque, qu’il est propice à la concentration : un calme que rien ne dérange (même pas les ronflements de voiture), un air immobile et lourd; un horizon brumeux, coloré au vert par cette nature qui se fait ici aussi allégorique qu’inquiétante; des sifflements d’hirondelles, le soleil qui monte et descend au loin. Quelques vieux couples bronzés boivent des bières longues aux devants des vérandas, alors que le hall d’entrée diffuse des musiques gothiques.
La longue liste de fonctionnaires de toutes sortes – Les Lions à eux seul finiront bien par se voir consacrer tout un ministère… – qui les accompagnent sont logés au même endroit et circulent de temps à autre dans les couloirs, l’air importants. Il y a tout le monde de la Fecafoot, des ministère de la Communication, ainsi que des Sports et Loisirs, des médias officiels, notamment, la Crtv. Le ministre qui les accompagne, quant à lui, réside dans un hôtel différent, en plein centre de Paris.
L’essentiel est pourtant là: après le regroupement de dimanche soir, les choses – on dira – sérieuses ont elles-mêmes commencé lundi matin. Une séance de décrassage de près de deux heures dans la matinée, une séance d’entraînement dans l’après-midi (naturellement interdite à tout regard «étranger») et un repas entre les deux. Dans la soirée, le ministre des Sports a tenu une réunion dans la salle de conférences de l’hôtel, au cours de laquelle il s’est vu annoncer par Samuel Eto’o que chaque joueur de même que chaque encadreur de l’équipe recevrait 1 million de Cfa de lui, en cas de victoire contre la Côte d’Ivoire. Ce qui a constitué, forcément, la hauteur de bien de satisfactions. Les deux jours suivants devraient être livrés à la même monotonie (entraînements/repas/réunions avec le ministre) avant l’envol pour la Côte d’Ivoire au cours la matinée de vendredi, avec une escale de deux heures – on se demande bien pourquoi – à Yaoundé. Une conférence de presse est prévue dans la mi-journée de ce mercredi pour donner toutes sortes d’explications à toutes sortes d’inconnues.
Entre autres micro-événements dans la vie de ce groupe, les arrivées dans la journée de lundi de Samuel Eto’o et de Pierre Wome, de Douala Mbella et surtout de Raymond Kalla, personnage énorme et svelte, que l’on a vu se traîner dans les couloirs avec un regard inquisiteur et méfiant. Il n’a pu prendre part à sa première séance d’entraînement que dans la matinée d’hier, recevant avec un enthousiasme glacé les accolades de tous ceux qui venaient lui dire «c’est comment, grand ? ça fait tellement longtemps!». On dira donc pour rallier l’optimisme béat qui court les rues que l’atmosphère y est nécessairement détendue, Modeste Mbami prenant plaisir à se faire des séances de babyfoot avec Salomon Olembe et Rigobert Song, sur une table de jeu située dans le hall de l’hôtel. Des mots et des visages, tout le monde se borne à dire que «l’ambiance au sein de l’ensemble est bonne», même s’il est toujours difficile de savoir au-delà des phrases, quels plans mijote l’espace qui, chez M. Jorge, sépare le dessus de la moustache rebondie et la nudité d’un crâne de gourou.
Serge Alain Godong, à Paris